Cet exposé introductif rappelle les éléments historiques à garder en mémoire lorsqu'on aborde le problème du conflit sino-soviétique ; il répond en outre aux questions suivantes : Quelle est la signification de ce confit ? Quelles parts respectives y tiennent les facteurs idéologiques et les facteurs classiques, notamment ceux que l'on peut qualifier de géopolitiques ? Il esquisse enfin un certain nombre de scénarios plausibles pour l'évolution de ce conflit et leur affecte un ordre de probabilité.
En guise d'introduction - Rappel historique et perspectives d'évolution du conflit sino-soviétique
Assiste-t-on vraiment à une déstabilisation de l’Asie ? En dépit des crises récentes dont je ne conteste pas une seconde la gravité (révolution iranienne, invasion du Cambodge par le Vietnam, puis du Vietnam par la Chine, problème des réfugiés enfin), je préfère parler d’une continuité dans l’instabilité plutôt que d’une déstabilisation. Pour être moins élégante et pas nécessairement plus rassurante, la formule que je propose a au moins le mérite de faire apparaître les événements des derniers mois comme moins radicalement neufs, moins surprenants, plus dans la ligne d’une évolution déjà assez ancienne. Je crois, par exemple, que Mao Tsé-tung et Chou En-lai auraient, eux aussi, fort bien pu déclencher un conflit frontalier avec le Vietnam (… tout comme ils avaient, voici dix-sept ans, mené la guerre des confins sino-indiens). Je crois aussi que les nouveaux dirigeants de la Chine populaire ne sont pas plus interventionnistes, pas plus expansionnistes, pas plus hostiles à l’URSS que ne l’était Mao Tsé-tung – pas moins non plus d’ailleurs ; ils appliquent fondamentalement la même stratégie et sont, par-delà leurs divergences en politique intérieure, à peu près tous d’accord pour l’appliquer. Les grands morts de 1976 (Mao et Chou) n’étaient pas plus pacifiques que leurs successeurs.
Cette année troublée (1978-1979) a apporté sa moisson d’accords, de traités, de règlements de situations bloquées depuis longtemps ; rappelons seulement l’accord commercial du printemps 1978 entre la Chine et la C.E.E., la signature du traité sino-japonais en août 1978 et l’établissement de relations diplomatiques officielles entre Pékin et Washington, nonobstant la question taïwanaise sur laquelle achoppaient jusqu’ici les négociations (cette question n’a pas été réglée au moyen d’un progrès quelconque qui aurait permis de sortir de l’impasse, on a simplement décidé de la trancher comme Alexandre trancha le nœud gordien). Je ne prétends pas non plus que ces accords soient eux-mêmes nouveaux ou inattendus : ils représentent au contraire l’aboutissement de préparatifs engagés de longue date (les visites à Pékin de MM. Nixon et Tanaka ne remontent-elles pas à 1972 ?).
Au total, je crois donc que si les événements ont eu tendance à se précipiter en Asie au cours de l’année qui vient de s’écouler, ils s’inscrivent dans la logique d’une situation à laquelle nous sommes confrontés depuis assez longtemps. On peut dater la mise en place des données qui dominent le jeu des relations internationales en Asie, si l’on remonte très loin, de la détente et des origines du conflit sino-soviétique ; et si l’on remonte moins loin, du désengagement relatif des Américains en Asie (l’énoncé de la doctrine de Guam en 1969) et la fin de la guerre du Vietnam. À partir du moment où, les Américains ayant choisi de s’effacer. Russes et Chinois demeuraient face à face, la déstabilisation avait déjà commencé.
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