Les sociétés modernes entretiennent un rapport au risque complexe et ambigu. Cette relation paradoxale qui influence la pensée et l’action des armées pourrait remettre en cause une spécificité militaire. L’usage de la force militaire se définit intrinsèquement par l’omniprésence du risque. Les armées doivent assumer les risques élevés qu’implique aujourd’hui la défense de nos intérêts et de nos valeurs pour prétendre à la place qui leur revient dans la société française. Dans un monde plus dangereux, accepter de prendre des risques n’est pas seulement un gage d’efficacité opérationnelle au niveau tactique, mais se révèle être un levier déterminant du positionnement de notre pays au niveau stratégique.
La place du risque dans l'action militaire contemporaine
The place of risk in contemporary military action
Modern societies have a complex, ambiguous relationship with the notion of risk. This paradoxical attitude, which affects armed forces’ thinking and actions, could call in question a characteristic of the profession of arms: intrinsically, the use of force by the military always entails an element of risk. The Armed Forces must accept the high level of risk involved in the defence of our interests and values if they are to lay claim to their place in French society. In an increasingly dangerous world, the acceptance of risk is not only a guarantee of operational effectiveness at the tactical level but is clearly a powerful lever for increasing France’s influence at the strategic level.
Les sociétés modernes semblent menacées par des dangers plus nombreux, plus variés et de plus grande ampleur qu’autrefois. L’homme moderne est aujourd’hui à la fois mieux informé et plus sensible aux risques qui l’entourent. Paradoxalement, tandis que les comportements à risque se multiplient apparaît un refus courant des conséquences qui y sont associées. Les sociétés postmodernes repoussent sans cesse les limites du risque acceptable, si bien que les sociologues n’hésitent pas à les qualifier de sociétés du « non-risque » (1). Pourtant les sciences naturelles et les sciences physiques établissent que le mouvement, l’action, ou la croissance sont intrinsèquement porteurs de hasard, de friction ou de risque. C’est également le cas des sciences humaines, économiques et sociales. Pour les polémologues enfin, la paix est étymologiquement une période de stabilité (du latin pangere : fixer), tandis que la guerre est le temps du mouvement, du danger et des risques individuels et collectifs.
Nos armées émanent d’une société qui méconnaît et rejette l’idée même de risque. Pourtant, accepter le danger est propre à l’état de soldat et détermine l’action militaire. Entre une légitime prise en compte et un rejet impossible du danger, la relation des armées contemporaines au risque est rendue ainsi plus complexe. Or, les conflits récents font bien apparaître la nécessité de redécouvrir le sens du risque et de valoriser sa place dans l’action militaire. La notion de risque est au cœur de l’acte décisionnel qui définit le chef militaire dans l’action : si commander c’est décider, décider c’est mesurer, accepter et prendre des risques. Finalement, considérant que « vouloir » consiste à mettre des idées en mouvement, le risque trouve alors une place essentielle dans l’action militaire.
Entendu comme un danger éventuel plus ou moins prévisible, le risque est déterminé par une probabilité d’occurrence et un degré de gravité. Du simple soldat au stratège, la prise de risque est une exposition volontaire et nécessaire à un danger pour obtenir le résultat assigné. L’accomplissement de la mission peut impliquer de se mettre en danger, d’affronter la mort ; la donner plutôt que la recevoir !
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