
C’est sous la forme d’un roman haletant remarquablement informé que l’auteur, directeur adjoint de l’Institut français des relations internationales (Ifri), nous fait pénétrer dans l’univers secret de Daech. Il en démonte les mécanismes d’action, en décrit le langage, les méthodes de recrutement, les divers soutiens en France et à l’étranger.
Sous des allures de dialogues brefs et incisifs, enrichis par des explications tirées de faits réels, Marc Hecker, introduit ses lecteurs dans ce monde clandestin comme si on y était. Tout commence en 2013, lorsque les services chargés de la sécurité intérieure sont pris de court par la radicalisation de centaines de jeunes des banlieues, happés par la propagande rusée et sournoise de ce nouveau mouvement qui s’est voulu un « État islamique en Syrie et en Irak ». Très vite il dépasse Al-Qaïda en cruauté, en habileté et capacité organisatrice, en plongeant le djihad territorial – contrairement au djihad global d’Al-Qaïda – au cœur du Levant, là où l’effondrement de l’État irakien et la guerre civile en Syrie lui laissent de larges territoires où il peut s’organiser, s’étendre, capter des ressources et sait subjuguer les esprits. Cet été 2014 qui voit la proclamation d’un État islamique au Levant et qui correspond au début de la guerre civile en Ukraine brouille bien des cartes.
Pourtant, depuis la polémique sur le voile islamique dès 1989, la France avait été confrontée à la montée d’une vague islamique voulant peu à peu corroder l’édifice républicain. Tout commence comme chez le philosophe italien Antonio Gramsci, créateur de la théorie de l’hégémonie culturelle, par la maîtrise de la pensée. Aussi, Marc Hecker campe des étudiant(e)s défendant des thèses favorables aux idées islamistes, des querelles entre universitaires, d’ardents débats télévisés où s’affrontent différents courants de pensée. Cette partie fort riche, souvent peu connue du public, livre bien des enseignements et montre également comment les divers services de l’État ont su assez vite s’adapter à la menace islamiste. En ces premières années, on n’avait pas pleinement intégré ce phénomène terroriste global, usant de moyens nouveaux sur les réseaux sociaux, ce qui déjouait bien des filatures traditionnelles et autres méthodes d’observation. Marc Hecker, qui étudie l’extrémisme depuis une vingtaine d’années en choisissant la forme romanesque, rend accessible aux non-spécialistes bien des vérités cachées. Il décrypte les non-dits, les codes du langage, les modus operandi, qui depuis ont peut-être varié, mais sont restés fondamentalement les mêmes, prêts à resurgir à l’occasion.
En mars 2016, le Directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) fut auditionné à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une commission d’enquête sur le terrorisme. Les recherches, filatures, études au peigne du narratif, des méthodes de recrutement de Daech, furent désormais mieux connues, ce qui exigeait de déployer des moyens conséquents. La vague d’attentats qui déferla sur la France en 2015 alerta l’opinion publique, les députés, la presse sur cette hydre terroriste qui paraissait irrésistible. Le roman trépidant de Marc Hecker se termine en mai 2017 avec l’élection présidentielle qui s’achève – pure fiction – par l’élection d’une Clémentine Le Gall, battant François Hollande, qui reconnaît sa défaite, mais qualifie la victoire (inattendue) de son adversaire d’« accident de l’histoire » en déclarant continuer son action afin que la France ne bascule pas du côté des démocraties illibérales. ♦