Politique et diplomatie - Berlin : les rouages de l’affaire
On a parfois imputé l’offensive diplomatique engagée par l’U.R.S.S. sur Berlin depuis le mois de novembre 1958 au désir de juguler l’hémorragie démographique que constitue l’exode des réfugiés d’Allemagne de l’Est. La République Démocratique Allemande, disait-on, ne peut à la longue supporter la perte de substance que représente chaque année le départ de près de 200 000 jeunes intellectuels, techniciens, paysans. On en concluait que le gouvernement de M. Ulbricht devait faire pression sur M. Khrouchtchev pour qu’il trouve le moyen d’interrompre le scandale permanent d’un pays socialiste dont, à longueur d’année, la population active fuit les bienfaits. Or, c’est par Berlin que près de 50 % des réfugiés d’Allemagne orientale accèdent à la liberté. D’où les efforts soviétiques pour fermer la porte de Berlin-Ouest et pour rendre ainsi possible la stabilisation de l’Allemagne orientale.
Cette explication de la politique berlinoise de l’U.R.S.S. se heurtait à une objection sérieuse. Si la R.D.A. et l’U.R.S.S. s’inquiétaient à ce point de l’exode des réfugiés, pourquoi l’U.R.S.S., puis le gouvernement Ulbricht n’avaient-ils pas pris des mesures réglementant l’accès à Berlin-Est des Allemands de la zone orientale. Ces mesures n’auraient pu être contestées par les Occidentaux que sur le plan de la morale. Elles n’auraient pas violé les accords quadripartis, exprès ou tacites concernant la libre circulation à Berlin même. Elles n’en auraient pas moins eu pour effet de diminuer le nombre des réfugiés en filtrant les Allemands de l’Est se rendant à Berlin (1).
Le fait que Moscou et Pankow n’aient pas cru, jusqu’en août dernier, devoir prendre des mesures à cette fin pouvait avoir deux raisons : ou bien les deux gouvernements, contrairement à l’opinion que je rapportais ci-dessus ne considéraient pas l’exode des réfugiés comme un mal si redoutable. Après tout, soutenaient certains, les communistes estiment peut-être avantageux d’être débarrassés d’une opposition qui, comme en 1953, pourrait devenir explosive. Berlin jouerait ainsi, en quelque sorte, le rôle d’une soupape de sûreté ; ou bien — et cette seconde raison est sans doute la bonne — l’U.R.S.S. et la R.D.A. ne se résignaient pas à des mesures qui auraient souligné la différence de statut entre Berlin-Est et le territoire de l’Allemagne orientale. Limiter la circulation des Allemands de l’Est entre l’Allemagne orientale et Berlin-Est c’eût été, au moins dans les faits, donner raison à la thèse occidentale que Berlin ne fait pas partie de la R.D.A.
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