Mes camarades ne savaient pas penser. Leur esprit était dominé par cette opinion que l’action est difficile et la science aisée. Sun-Yat-Sen (Souvenirs)

Stratégie militaire

En bouleversant par sa puissance et sa portée exceptionnelles la conception d’emploi des forces, l’arme atomique vient de remettre la stratégie en honneur. Et le mérite du Général Beaufre est grand d’avoir, le premier en France, dans son ouvrage : Introduction à la stratégie ⁽¹⁾, étudié avec maîtrise ce qu’il appelle une méthode de pensée, osé faire retentir tout haut son nom dans notre pays et réveillé enfin une pensée militaire digne de ce nom.

La stratégie fut longtemps considérée comme une technique particulière : celle qui consistait à amener et à présenter les forces à la bataille en vue de réaliser le dispositif le plus favorable au développement tactique ultérieur des opérations sur des directions particulièrement sensibles à l’adversaire. Elle était alors d’essence purement militaire et ne relevait que d’un petit nombre d’initiés, placés pour la plupart aux hauts échelons du commandement. En quelque sorte ésotérique, elle n’était pas enseignée ex cathedra mais puisée, durant chaque génération, dans la pensée de chefs en renom, que celle-ci fut exprimée oralement sur le terrain ou par écrit dans certaines de leurs instructions, voire parfois dans un ouvrage. Les formes de la guerre évoluant lentement, dans une période où la technique n’en était encore qu’à ses balbutiements, et en l’absence d’expériences bouleversantes, on pouvait se satisfaire d’un tel empirisme. Malheureusement, comme cela était déjà apparu aux yeux des adversaires désemparés de Bonaparte en Italie et de Napoléon en Europe, lorsque le jeu traditionnel se trouvait faussé par une évolution inattendue de la pensée et de l’emploi des moyens, les problèmes posés se révélaient insolubles sur-le-champ et entraînaient la défaite. Notre effondrement de 1940 n’a pas eu d’autre source sur le plan militaire.