Outre-mer - Le douzième « Sommet » de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) - Du golfe d'Aden au canal du Mozambique - Les Comores : l'indépendance à trois contre un - Djibouti : caserne ou station-service maritime ?
Le douzième « sommet » de l’Organisation de l’unité africaine (OUA)
La onzième conférence au sommet de l’OUA s’était tenue à Mogadiscio en juin 1974 alors que les nations africaines et arabes célébraient encore leur toute nouvelle alliance et que les pays non-alignés venaient de remporter un succès important à l’ONU au cours du débat sur les matières premières. Elle avait nommé le Camerounais William Eteki au secrétariat général après de longues discussions et avait adopté plusieurs textes parmi lesquels figuraient la résolution sur les matières premières de l’Assemblée générale de l’ONU, le rapport du Soudanais Khalil sur le versement de 200 millions de dollars par les pays de la Ligue arabe aux nations africaines les plus éprouvées par l’augmentation des prix du pétrole et le refus de l’OUA de cautionner la politique de décolonisation progressive qui venait d’être définie par le général Spinola, en n’acceptant pas que le ministre des Affaires étrangères de ce dernier, M. Soarès, fût reçu par le secrétaire général de l’organisation. La prochaine réunion devait se dérouler à Kampala et consacrer la réconciliation de la famille africaine avec l’Ouganda du général Amin Dada.
Depuis lors, des événements survenus en Afrique ou ailleurs ont eu des répercussions sur le continent, estompant ou accentuant ses clivages traditionnels. L’éviction du général Spinola a rendu possible le succès des négociations de Lisbonne avec le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), mouvements reconnus et soutenus par l’OUA ; en revanche, la politique pratiquée par le Portugal en Angola, politique qui consiste à favoriser le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), reconnu par l’organisation, aux dépens du Front national de libération de l’Angola (FNLA) et de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), n’est pas acceptée par tous les pays africains, le Zaïre notamment. La décolonisation des territoires portugais a eu deux autres conséquences : elle augmente la vulnérabilité de la Rhodésie, par conséquent elle contraint à rechercher par la négociation une solution à son problème constitutionnel pour éviter une escalade de la violence ; elle oblige l’Afrique du Sud à réviser sa politique de défense, à chercher l’alliance ou la neutralité des États africains qui l’entourent et à protéger cet ensemble en concevant pour la première fois une véritable politique africaine dont le succès dépendra de la réalisation de réformes notables sur le plan intérieur. Pretoria, qui connaît mal la situation du continent et qui choisit ses interlocuteurs avec une certaine maladresse, en est encore aux tâtonnements. Pourtant, son action commence à soulever de l’intérêt ou de la méfiance ; à son sujet les États africains s’observent et scrutent mutuellement leurs arrière-pensées.
Dans le même temps, les pays éprouvés par l’augmentation du prix des produits pétroliers ont été déçus par la faiblesse de l’aide arabe et sa mauvaise répartition ; les membres du Sahel musulman cherchent de plus en plus à négocier des accords bilatéraux avec les États du golfe Arabo-Persique : Arabie, Koweït, Émirats et même Iran dont la progression a été spectaculaire début 1975. L’interférence de ces gouvernements, étrangers à l’Afrique et indifférents à l’égard des problèmes qui agitent le continent, accentuent les divisions comme le faisait, avant octobre 1973, la coopération avec Israël. Un autre motif de confusion provient de la chute des cours de certains produits et des tendances concurrentes qui s’affrontent, autour de la Conférence sur l’énergie et les matières premières, pour proposer des solutions à ce problème.
Avec un nouveau secrétaire général dont les mérites ne sont pas en cause, l’OUA, en pleine réorganisation administrative, n’a pas joué pleinement durant l’année son rôle de coordination des politiques ; son président en exercice, le général Syad Barre, dont le pays ne s’est intéressé que tardivement au reste de l’Afrique, n’a pas pris d’initiatives ; Haïlé Sélassié qui, depuis la création de l’OUA, était le protecteur, voire souvent l’animateur de cette organisation, n’était plus le souverain d’Éthiopie ; son successeur, issu d’une révolution dont les excès ont été critiqués par de nombreux États, ne pouvait prétendre à ces deux titres. Enfin, la désignation de Kampala comme siège du « sommet », désignation qui impliquait que M. Amin Dada fût le futur président en exercice, n’a pas plu à tous les gouvernements : les uns reprochaient à l’Ouganda de paralyser les activités de la « Communauté est africaine », exemple d’un regroupement économique que recommande l’OUA ; les autres ne voulaient pas cautionner par leur présence les méthodes de gouvernement du président ougandais. Celui-ci, d’ailleurs, n’a pas amélioré son image de marque depuis le début de l’année ; le style de ses démêlés avec la Grande-Bretagne a choqué les milieux cultivés et leur a fait craindre la montée non seulement d’une certaine méfiance de l’opinion publique internationale à l’égard de tous les gouvernements du continent mais aussi d’une vague raciste dans les masses africaines.
La douzième conférence s’est ouverte donc le 30 juillet à Kampala dans les plus mauvaises conditions psychologiques. Vingt chefs d’État seulement sont venus accueillir les nouveaux membres : Mozambique, Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe ; la Guinée-Bissau avait été admise au précédent « sommet ». L’OUA compte désormais 46 États. La candidature de l’archipel du Cap-Vert a été retenue, bien que ce pays soit soumis au même pouvoir politique que la Guinée-Bissau. La Tanzanie, le Botswana et la Zambie n’ont pas envoyé de représentant, marquant ainsi leur opposition à la politique ougandaise ; M. Samora Machel, lui non plus, ne s’est pas déplacé, la délégation du Mozambique n’étant dirigée que par le vice-ministre des Affaires étrangères. Ainsi tous les États appelés à jouer un rôle dans la solution du problème constitutionnel rhodésien ont boudé la conférence ; ils ont craint peut-être que les résultats modérés acquis lors de la réunion spéciale des ministres des Affaires étrangères tenue en avril à Dar es Salam ne fussent remis en cause. Des dirigeants des trois mouvements de libération angolais, seul M. Savimbi de l’UNITA est venu demander aux chefs d’État la condamnation du MPLA qui aurait violé les Accords de Nakuru en s’emparant de Luanda et des villes côtières de l’Angola. M. Yasser Arafat, chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a adressé un appel afin que l’OUA approuve la résolution, présentée par la Libye, demandant l’expulsion d’Israël des Nations unies.
Plusieurs faits survenus pendant la session sont à noter. Le Zaïre a demandé la condamnation de la Tanzanie pour son attitude à l’égard de l’Ouganda ; de son côté, l’Ouganda a proposé que le siège du comité de décolonisation soit transféré de Dar es Salam, où il est placé pratiquement sous contrôle tanzanien, dans une ville zaïroise. Ces deux suggestions ont été rejetées. Un vif incident a opposé la Tunisie à l’Éthiopie : reprochant au gouvernement de M. Bourguiba de soutenir ouvertement les rebelles érythréens, Addis-Abéba a rompu les relations diplomatiques avec Tunis et a limité l’importance de la représentation permanente tunisienne auprès du secrétariat général de l’OUA : en riposte, comme l’avait fait la Libye lors du dixième « sommet », Tunis a demandé le transfert de ce siège dans une autre ville africaine, proposition également rejetée en raison des difficultés qu’un tel choix soulèverait. Mettant nettement en accusation la politique française au Territoire français des Afars et des Issas (TFAI), la Somalie a réclamé la création d’un sous-comité de décolonisation à Mogadiscio où cet organisme soutiendrait le « Front de libération de la Côte des Somalis » (FLCS) : l’Éthiopie préférerait qu’il fût installé à Addis-Abéba, auprès du « Mouvement de libération de Djibouti » (MLD), son protégé ; en raison de cette rivalité, la proposition somalienne n’a pas eu de suite. La France n’en fut pas moins critiquée : il lui fut enjoint d’avoir à ne plus favoriser la « sécession » de Mayotte ; le « sommet » décida, par ailleurs, de fournir aux mouvements de libération « de la côte dite française des Somalis » les moyens « matériels, moraux et diplomatiques » qui leur sont nécessaires pour atteindre leur objectif. Il ne choisit donc pas entre les mouvements ; par conséquent il ne prend parti ni pour les thèses de l’Éthiopie ni pour les revendications de la Somalie : sa préférence pourrait aller au parti légal d’opposition, la LPAI (Ligue populaire africaine pour l’indépendance de Djibouti) de M. Ahmed Dini qui, se plaçant au-dessus des ethnies, prône l’indépendance de Djibouti – mais rien ne permet de dire qu’il y ait eu unité de vues sur ce point. La réunion fut également le théâtre des attaques de la Libye contre l’Égypte et des reproches adressés par de nombreux pays africains aux Arabes qui, non seulement ne leur ont pas donné une aide suffisante en compensation de la hausse du prix des produits pétroliers mais encore continuent à entretenir avec l’Afrique du Sud des relations commerciales. Cette animosité déclarée explique peut-être les raisons de l’échec de la résolution demandant d’abord l’exclusion, puis après discussion, la suspension d’Israël de l’ONU. En ce qui concerne l’affaire rhodésienne, la position du « sommet » fut aussi modérée : les conclusions de la réunion spéciale de Dar es Salam ont été entérinées en ce sens que les contacts à prendre par les gouvernements africains « pour obtenir l’indépendance de la Rhodésie et de la Namibie » demeurent autorisés ; en revanche, la politique de détente et de dialogue pratiquée par Pretoria à l’égard des pays du continent est à nouveau condamnée. Face au problème de l’Angola, la conférence s’est montrée encore plus embarrassée : elle n’a prononcé aucune condamnation, s’est bornée, à la demande du Zaïre, à rappeler au Portugal ses responsabilités en matière d’ordre public mais a refusé d’entendre M. Ranque Franque, chef du parti sécessionniste cabindais, bien que le protégé du général Mobutu eût été longuement reçu, en marge de la conférence, par le maréchal Amin Dada.
Bref, il semble qu’au cours de ce douzième « sommet » de l’OUA, les compromis obtenus marquent un regain de dynamisme de la part des pays dits modérés ; l’influence de la dialectique des Arabes progressistes sur l’ensemble du monde africain paraît aussi en baisse. De ces constatations fortuites, il ne faut certes pas tirer des conclusions définitives : les réactions africaines sont émotionnelles et sujettes à des variations imprévisibles. La fin des travaux fut perturbée par l’annonce d’un coup d’État survenu à Lagos le 31 juillet : six présidents ont immédiatement rejoint leur capitale. Il fut bientôt connu que les putschistes n’avaient pas pour dessein de transformer profondément la politique nigériane ; ils entendaient remplacer un chef dont la popularité déclinait par un homme neuf, le général Murtala Muhammed, dont ils espéraient une attitude plus tolérante à l’égard de la jeunesse et des chefs traditionnels.
Quelques jours après le « sommet » de Kampala, le 6 août, le président Giscard d’Estaing commençait un voyage officiel au Zaïre où il recevait un accueil chaleureux. Il venait proposer à l’Afrique un nouvel ordre économique mondial et une forme rajeunie de coopération.
Bernard Brionne
Du golfe d’Aden au canal de Mozambique
La réouverture du Canal de Suez s’est effectuée au seuil de cet été dans un contexte politique et militaire bien différent de celui qui prévalait lors de son obstruction en 1967. Chypre a été le théâtre d’affrontements qui ont mis à mal le dispositif américain en Méditerranée orientale. Aden a vu le départ des troupes britanniques. L’Éthiopie, ce belvédère occidental, est passée aux mains de militaires cherchant leur inspiration en Chine populaire. Diégo-Suarez a été évacué par la marine française…
Restent les Maldives, la base de Diégo-Garcia et celle de Gan dans l’océan Indien.
L’articulation de la stratégie occidentale dans cette région du monde s’en trouve inévitablement modifiée. L’évolution politique des territoires bordant la mer Rouge et l’océan Indien a subi les effets de cette vaste mutation. Certains d’entre eux sont devenus au cours de cet été des points de mire. C’est ainsi que la précipitation a prévalu aux Comores tandis que la prudence règne à Djibouti. Deux exemples qui méritent un examen plus approfondi.
Les Comores : l’indépendance à trois contre un
« Un œuf n’a jamais mangé un bœuf ». Cette remarque de M. Ahmed Abdallah, mieux connu par ses colères que par sa verve, visait, il y a un an, à situer la façon dont la question mahoraise était perçue à Moroni. Mépris ou suffisance, qui le dira ? Toujours est-il que l’œuf n’a pas voulu être digéré par le bœuf. D’abord en votant, lors du référendum du 22 décembre dernier sur l’indépendance de l’archipel, à contre-courant de la majorité : Mayotte avec près de 65 % de « non » allait à rencontre des trois autres îles qui amassèrent 95 % de oui. Ce qui fit écrire à un commentateur enclin à la simplification : si l’on excepte Mayotte, les Comores ont voté à presque 100 % en faveur de l’indépendance. Une fois de plus les Mahorais étaient négligés. Ces exemples méritent de ne pas sombrer dans la petite histoire car ils illustrent assez bien l’incompréhension dont les habitants de Mayotte s’estiment les victimes.
Dans ce qui était, jadis, l’archipel aux sultans batailleurs, Mayotte a toujours constitué une entité quelque peu à part. L’unité de l’archipel ne date que de 1912, lorsque les quatre îles furent placées sous le régime administratif commun de colonie française. Mais il y avait 45 ans que Mayotte vivait en symbiose avec la France lorsque notre drapeau fut planté, en 1886, à Mohéli et cinquante ans lorsque la Grande Comore tomba sous notre protectorat. Sans justifier le particularisme de Mayotte, l’histoire l’explique sans doute. Et en 1958, lorsque l’archipel devient territoire d’outre-mer, les Mahorais réclament déjà le statut de département français. Le référendum de décembre dernier n’aura fait que confirmer cette volonté. Mais en fait la cassure s’est produite le 19 avril de cette année. Ce jour-là, M. Mouzaoir Abdallah, le président de la Chambre des députés de l’archipel, abandonne ses fonctions pour protester contre la politique de M. Ahmed Abdallah. C’est alors qu’il demande au Parlement français de convoquer une conférence constitutionnelle.
L’Assemblée nationale française, approuvée ensuite par le Sénat, décide effectivement le 25 juin qu’un comité ad hoc devra établir un projet de constitution à soumettre à l’approbation de chacune des îles, séparément. Ce texte, qui prend en considération l’analyse du référendum d’indépendance et qui revient aux sources du débat parlementaire de l’année précédente, lequel spécifiait que les populations de l’archipel (et non l’archipel en soi) seraient appelées à se prononcer sur leur avenir, eh bien ce texte est aussitôt jugé « inacceptable et inapplicable » par M. Ahmed Abdallah. Pour couper court, il décide alors de proclamer unilatéralement l’indépendance des Comores et de confisquer le pouvoir. C’est chose faite le 6 juillet : le lendemain la Chambre des députés de l’archipel se transforme en Assemblée nationale puis élit M. Ahmed Abdallah chef de l’État. L’indépendance dans l’unité vient d’être assurée, du moins le croit-il. La population en est sans doute moins certaine qui ne pavoise pas comme le voudraient les circonstances. En revanche, les Mahorais célébreront avec éclat la fête nationale du 14 juillet. Pour leur part, les députés de Mayotte restent à l’écart, désireux de ne pas compromettre à tout jamais la procédure instaurée par le Parlement français. Mais ce n’est pas d’eux que viendra la contestation.
Le Front uni des Comores, qui regroupe quatre partis d’opposition, exige la mise en place d’un directoire. Son porte-parole est le prince Saïd Ibrahim, ancien président du gouvernement des Comores et adversaire des thèses de M. Abdallah. Décidément l’avenir apparaît bien hypothéqué aux yeux du nouveau président. Comment alors ne pas saisir la chance que lui offre la réunion de l’OUA à Kampala ? Il accuse la France d’avoir débarqué des troupes à Mayotte. Ce coup de force n’était qu’une dépêche d’Ems et Paris dément.
Pendant ce temps, M. Marcel Henry, dirigeant du Mouvement populaire mahorais, se préoccupe d’assurer le fonctionnement de l’administration à Dzaoudzi, la capitale de Mayotte. Certes, il entend couper les ponts avec Moroni mais il n’est pas question d’élire un chef de gouvernement. Son souci est seulement de gérer l’île en attendant que la France y organise une nouvelle consultation.
L’attitude de M. Ahmed Abdallah est tout autre. Il refuse de négocier le transfert des compétences, arguant du fait que Paris a nommé un représentant à Mayotte, initiative qu’il considère comme une provocation. Fin juillet, il forme son équipe ministérielle, cumulant les fonctions de Premier ministre avec celles de chef de l’État. Son autoritarisme est de plus en plus mal supporté par les hommes politiques de l’archipel et le dimanche 3 août, un coup d’État met fin à son pouvoir. Une opération menée par le Front uni place M. Ali Soilih à la tête des Comores. L’amitié qui lie le nouveau président à M. Marcel Henry laisse espérer la fin de la sécession de Mayotte mais le leader du Mouvement populaire mahorais réaffirme sa détermination à rester au sein de la République française, refusant tout statut d’autonomie dans une confédération comorienne. Cependant une semaine après le renversement du président Ahmed Abdallah, deux Mahorais entrent au Conseil exécutif national que préside M. Said Mohamed Jaffar. L’heure n’est plus à l’affrontement, bien que personne ne veuille céder. Peut-être la France reste-t-elle en définitive l’unique médiateur possible, bien que M. Olivier Stirn, secrétaire d’État aux Dom-Tom, ait un jour précisé qu’elle pouvait « donner l’indépendance mais non l’unité ».
Djibouti : caserne ou station-service maritime ?
Et si Djibouti proclamait son indépendance ? Les sollicitations ne manquent pas en ce sens. On a même vu cet été Addis-Abéba et Mogadiscio se mettre d’accord sur cette éventualité… Certes, il n’en est pas question dans le Territoire français des Afars et des Issas, mais on en parle tant ! Djibouti a pris nettement position lors du référendum de 1967, choisissant sans ambages le maintien dans l’orbite française. Cependant il s’est passé bien des événements dans la région depuis cette date. Le soviet militaire qui a pris le pouvoir en Éthiopie a accentué les tendances sécessionnistes des Afars sous l’autorité du sultan Ali Mirah. M. Ali Aref, président du conseil de gouvernement du TFAI, l’a même reçu. Rien de ce qui se passe au-delà des frontières du territoire ne peut en effet laisser indifférentes les autorités de Djibouti. D’autant moins que la situation évolue rapidement dans cette « corne de l’Afrique ». Alors que le Négus n’avait jamais cessé d’être favorable à la présence française à Djibouti, qu’il considérait comme un facteur de paix dans la région, les nouveaux dirigeants d’Addis-Abéba ont clairement fait savoir devant l’OUA qu’ils renonçaient à toute revendication sur le territoire, c’est-à-dire sur le port qui commande l’approvisionnement du chemin de fer aboutissant à leur capitale. Étrange revirement et qui pourtant s’explique. En butte à la recrudescence de la rébellion érythréenne, le comité militaire éthiopien se soucie, dans l’immédiat, de ne pas relancer les prétentions somaliennes sur la province de l’Ogaden. Il lui a donc paru plus facile de jeter du lest sur la question de Djibouti. D’où cette déclaration neutraliste à laquelle la Somalie a aussitôt répondu en adoptant une attitude identique. Des communiqués ont même été diffusés, certifiant la parfaite concordance de vues des deux pays sur le problème. Finies les virulentes campagnes de presse des années 1960 entre Addis-Abéba et Mogadiscio. Il n’y a plus de proie à saisir, seulement un partenaire à seconder dans son éventuelle accession à l’indépendance.
À Djibouti les choses ne sont pas vues du même œil. On doute de la sincérité des professions de foi faites aux deux frontières. « Qui garantira notre indépendance ? » s’exclame le président Ali Aref. Les Nations unies ? L’exemple de Chypre n’est guère encourageant. L’OUA ? Elle est traversée par des mouvements contraires. Bien sûr la Somalie pourrait obtenir la bienveillance de la Ligue arabe, mais quelle serait alors l’attitude de l’Éthiopie ? Bref, il ne reste que la France à pouvoir assurer l’avenir du territoire. Djibouti ressemble peut-être à une immense caserne, mais c’est en définitive pour préserver le renouveau d’un port vital pour l’Afrique orientale et pour les lignes maritimes passant par Suez. Or, depuis juin dernier le canal est rouvert à la circulation. Les débarcadères vont à nouveau s’animer à l’ombre des casernes. L’indépendance… on en parlera le soir au « Palmier en zinc ».
Bernard Guillerez







