Politique et diplomatie - Allemagne et Europe : questions sans réponses
Un analgésique se vante de « faire du bien là où ça fait mal ». Voici, à l’inverse, un petit livre, dû à un jeune universitaire spécialiste de l’outre-Rhin, qui fait mal là où nous pensions être bien. Le titre l’indique : il s’agit des rapports, présentés comme quelque peu antagonistes, entre l’amitié franco-allemande et la réalisation de l’Union européenne, tandis qu’un sous-titre excessif (« Des malentendus à la discorde ») traite des relations bilatérales entre nos deux pays (1). Débarrassé des paradoxes ou exagérations qui privent plusieurs passages de valeur didactique sinon de pertinence, ce percutant essai a l’avantage, en poussant à des remises en question, de nous extirper des paresseuses ornières où s’enlisent les réflexions sur ces thèmes capitaux, au point qu’on pourrait croire qu’ils appartiennent au domaine réservé de la pensée unique.
L’intimité des relations entre nos deux pays, qui depuis longtemps dépasse le bon voisinage, apparaît sans conteste comme le plus grand changement survenu depuis des générations dans notre politique étrangère. Personne ne niera qu’il est positif. On peut avec raison estimer, au moins pour le moment, qu’il demeure de plus grande importance, pour le couple franco-allemand et pour ses voisins naguère menacés par ses démêlés, que le grand chantier européen qui se limite encore aux fondations. Or les deux mouvements — amitié entre des adversaires traditionnels et mise en œuvre d’un partenariat plus ambitieux — ne se décalquent plus l’un sur l’autre en toutes circonstances, en même temps que l’entente entre les deux capitales semble moins systématique. Notre amitié, dont les avantages ne se discutent pas, n’en doit pas moins, semble-t-il, demeurer une priorité allant au-delà de celle de la construction européenne, au point, s’il doit y avoir choix sur tel ou tel sujet, de passer en premier.
Le passé et le présent
La guerre froide aidant, les intérêts des deux nations, tout au long de quatre décennies, se sont recoupés, parfois confondus, sur des thèmes aussi essentiels que la sécurité, l’attitude à l’égard de l’Est, la construction de l’Europe, la recherche d’une symétrie relative avec les États-Unis. Les épreuves susceptibles de remettre en cause cette coïncidence leur furent, il est vrai, épargnées. Du reste, la construction d’une Europe des nations était un des éléments majeurs de la politique de l’Allemagne, légitimement désireuse de faire oublier le passé et de jouer une partition à sa mesure dans le concert européen. Cette foi, sincère, fut d’autant plus communicative qu’elle était applaudie à Paris. Les autres partenaires en arrivaient sans trop de peine à faire taire leurs agacements devant nos tête-à-tête élitistes. L’Europe, alors limitée à l’Ouest du continent, commençait à bâtir dans l’enthousiasme une demeure commune d’après l’épure dessinée par ses deux principaux architectes. C’était l’âge d’or.
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