Asie - Les retombées des essais nucléaires indiens
L’Inde a surpris le monde entier en procédant à trois essais nucléaires, le 11 mai 1998, suivis de deux autres le 13 mai. Puissance nucléaire non officielle depuis 1974, l’Inde n’a fait qu’entrer officiellement dans le club des grands, sans que l’on puisse lui reprocher de violer les accords internationaux qu’elle a toujours refusé de signer. La communauté internationale a montré son impuissance à réagir de concert. Le plus grave n’est peut-être pas les essais en soi, mais le contexte intérieur et surtout extérieur qui les accompagne.
La réprobation internationale fut quasi générale, avec toutes les nuances du langage diplomatique (trouble, regrets, consternation…). Dès le 11 mai, les États-Unis et le Japon ont immédiatement annoncé une série de sanctions économiques, et plusieurs pays (Nouvelle-Zélande, Australie, Canada) ont rappelé leur ambassadeur. La Nouvelle-Zélande a suspendu ses relations militaires et mis fin à toute aide non humanitaire. Le gouvernement indien est resté serein. Sur une chaîne de télévision, l’ambassadeur de New Delhi en France, d’une voix doucereuse, a expliqué qu’après un mouvement d’humeur les États-Unis reviendraient à une attitude plus souple car ils sont déjà le principal partenaire économique d’un pays de près d’un milliard d’habitants qui est en train d’ouvrir son économie aux étrangers. La réunion du G 8, juste après les essais, a montré l’impuissance des grandes nations à réagir de concert. Alors que les États-Unis et le Japon proposaient des sanctions collectives, au grand dam d’Islamabad, aucune décision commune n’a été prise en raison de l’opposition de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la France. La visite de Bill Clinton, prévue dans l’année après sa visite en Chine, n’est pas pour l’instant remise officiellement en question malgré plusieurs demandes de représentants du Congrès. Pour leur part, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, le 25 mai, ont refusé d’imposer des sanctions à l’Inde, se réservant de prendre toutes les mesures nécessaires, notamment de retarder les prêts de la Banque mondiale si New Delhi ne donnait pas suite à son engagement de signer les accords internationaux de désarmement nucléaire. L’Inde a toujours refusé d’adhérer au traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et à celui d’interdiction complète des essais nucléaires (CTBT) auquel elle reproche d’être discriminatoire, c’est-à-dire de maintenir l’existence du club des cinq puissances nucléaires, dont la Chine, alors que les autres pays du monde en seraient interdits pour toujours. On ne peut donc pas reprocher à l’Inde de ne pas respecter des accords qu’elle n’a jamais signés. Le jeu va consister à l’amener à le faire en s’alignant sur les engagements des autres membres du club dont elle a forcé la porte.
La Chine, jusque-là seule puissance nucléaire déclarée en Asie, qui avait manifesté beaucoup de réticences à signer l’accord sur l’interdiction des essais nucléaires — elle ne l’avait fait qu’après avoir procédé à une dernière série d’essais —, a d’abord montré un grand embarras : elle a surtout donné beaucoup de retentissement aux condamnations des autres pays. Ce n’est que le 14 mai qu’elle a publié un communiqué très virulent. Elle a manifesté son courroux sur le contexte antichinois dans lequel les essais ont eu lieu. Le 27 avril, le général Fu Quanyou, effectuant la première visite d’un chef d’état-major général chinois à New Delhi, s’était entretenu avec le Premier ministre Vajpayee qui avait déclaré que l’instauration de relations amicales de coopération entre les deux nations serait un atout pour la paix et la stabilité du monde entier. Fu Quanyou à peine parti, le ministre de la Défense, George Fernandes, socialiste catholique connu pour ses positions extravagantes, déclarait le 3 mai que la principale menace pour son pays n’était pas le Pakistan, mais la Chine qu’il accusa d’avoir installé des missiles à tête nucléaire au Tibet, dirigés vers l’Inde, et il a fait mention des activités navales chinoises au large de la Birmanie. Il rappela par la même occasion l’aide que Pékin avait apportée au programme nucléaire pakistanais. Beaucoup lui reprochèrent de dire de façon peu diplomatique ce que chacun savait déjà et on a conclu à un écart de langage de plus du flamboyant ministre. En fait, il s’agissait bien de la première salve d’une action concertée du gouvernement. Le ton est rapidement monté entre les deux capitales. On se croyait revenu aux plus mauvais moments de tension entre les deux pays.
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