Le général Hervé Pierre propose une biographie exceptionnelle sur le général Beaufre (1902-1975), un des grands concepteurs de notre stratégie. Loin d’une hagiographie, c’est un travail où les qualités croisées du militaire et de l’historien rendent compte du parcours de Beaufre, mais au-delà des évolutions de nos armées, des années 1920 jusque vers 1970.
Le général Beaufre, phare de la pensée militaire, toujours d'actualité
Éditions Perrin, 2025, 396 pages
General Beaufre—Leading Light of Military Thought, as Relevant as Ever
General Hervé Pierre has written an exceptional biography of General Beaufre (1902-1975), one of the great architects of our strategy. It is a far from reverential work in which the combined qualities of the military man and the historian combine to relate Baufre’s life beyond the developments in our forces, from the 1920s up to 1970.
Paradoxalement, le général Beaufre, « père de la stratégie française » comme le souligne le sous-titre de cet ouvrage était un peu tombé dans l’oubli depuis quelques décennies. Il a appartenu au général Hervé Pierre de l’en faire sortir par cette magistrale biographie, fruit de plusieurs années de fructueuses recherches. En réalité, cet ouvrage dépasse le simple niveau de la biographie puisque, dans une troisième partie, l’auteur se livre à une analyse serrée de la pensée stratégique du général Beaufre.
La grande qualité de ce travail biographique réside dans sa profonde et scrupuleuse honnêteté car, contrairement à trop de biographes, même militaires, le général Pierre n’est jamais « prisonnier » du personnage sur lequel il travaille et ne tombe nulle part dans la facilité de l’hagiographie. Toujours en position d’observateur de son personnage, mais jamais de juge, donc conservant en permanence le recul indispensable à l’objectivité, l’auteur souligne ici ou là combien dans ses Mémoires (1), le général Beaufre se donne parfois le beau rôle ; c’est le cas à Anfa notamment, où il n’était qu’interprète du général Giraud – le général Beaufre maîtrisait à la perfection la langue anglaise alors que Giraud n’en parlait pas un mot – et n’était en aucun cas partie prenante à la négociation franco-américaine, relative au réarmement de l’armée française par les États-Unis. Par ailleurs, il importe que cette biographie ait été écrite par un officier, car seul un officier, qui plus est officier général, se trouve à même de maîtriser l’ensemble des codes ou des non-dits qui régissent toutes les nuances des relations politico-militaires ainsi que celles, hiérarchiques des militaires entre eux – notamment le décryptage souvent subtil des appréciations portées sur les feuilles de notes annuelles par un supérieur sur un de ses subordonnés.
À ce sujet, les pages que l’auteur consacre au général de Lattre et à sa perception par l’armée de l’époque de la Libération et des années suivantes sont savoureuses. Il en va de même pour les conceptions tactiques du général Beaufre. L’auteur se plaît à souligner, dans ce domaine, la continuité et la parfaite cohérence des idées du général Beaufre, depuis les enseignements qu’il tire à chaud de la catastrophe de 1940 jusqu’à l’organisation « pentagonale » qu’il imprime à l’organisation de la 2e Division qu’il commande un peu plus de dix ans plus tard dans le contexte de l’adaptation – mort née pour cause de guerre d’Algérie – de l’Armée de terre française à la manœuvre sous menace d’emploi du feu nucléaire. Enfin, à plusieurs reprises, lorsque le général Beaufre exerce des commandements opérationnels tant en Indochine qu’en Algérie, l’auteur démontre avec beaucoup d’à-propos, combien le général Beaufre possédait un esprit beaucoup plus orienté vers la rigueur de l’esprit de géométrie que vers les méandres de l’esprit de finesse. Pour conclure ce trop rapide survol de la richesse de l’ouvrage avant d’entrer dans le vif du sujet de la biographie, le lecteur découvrira de lui-même l’idée maîtresse du général Pierre qui sous-tend l’ensemble de son ouvrage : le général Beaufre est un personnage qui a agi, réfléchi et écrit au centre d’un triangle équilatéral dont les trois sommets sont constitués par l’armée d’Afrique qui l’a formé, le général de Lattre qu’il a servi avec ferveur et l’échec de Suez qui l’a profondément et durablement traumatisé.
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