Grands diplomates, Les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours (The great diplomats: masters of international relations from Mazarin to the present day)
Grands diplomates, Les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours
Hubert Védrine, qui n’en est plus à un livre près, vient de préfacer cette belle galerie des « grands ancêtres » qui dresse le portrait érudit, enjoué et fouillé d’une vingtaine d’immenses ancêtres avec lesquels, lui ou ses pairs auraient eu plaisir à converser. Ce n’est pas tout à fait exact, car sur ces vingt diplomates de considérable renommée il aurait pu en rencontrer, à un titre ou un autre, six, c’est-à-dire des stratèges et des metteurs en scène de la diplomatie mondiale ayant œuvré ces cinquante dernières années, à savoir Henry Kissinger, disparu l’été passé centenaire, son commensal et rival Zbigniew Brzezinski, Edouard Chevardnadze, le « renard du Caucase », qui a accompagné Mikhaïl Gorbatchev dans l’ouverture de l’URSS au monde et, lors de la fin de la guerre froide, Kofi Annan, le « diplomate-monde » et seul Africain de cet ouvrage si l’on met de côté son prédécesseur au Secrétariat général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, qualifié ici de « gentleman oriental », mais que les responsables américains auxquels il s’était opposé qualifiaient d’« aristocrate français » : n’a-t-il pas achevé sa brillante carrière à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie ? Le dernier de cette remarquable exposition de contemporains, presque du même âge qu’Hubert Védrine, est le « Talleyrand russe », Sergueï Lavrov, devenu la « voix de son maître » Vladimir Poutine.
Galerie de grands diplomates dont les portraits ont été peints avec un immense soin par des historiens connus et reconnus, des journalistes de renommée et enfin des diplomates. Citons, parmi les six Français, Mazarin d’origine italienne et doué d’un génie d’une infinie subtilité. Deux Autrichiens : Kaunitz, le confident et conseiller le plus proche de Marie-Thérèse, et Metternich. Deux Anglais : William Pitt et Benjamin Disraeli, c’est peu pour un pays, un empire qui a exercé son hégémonie sur l’ordre européen et donc mondial durant plus d’un siècle ! Deux Allemands également : Otto von Bismarck et Gustav Stresemann, un conservateur allemand au service de la paix ; on aurait pu ajouter Hans-Dietrich Genscher qui a été à la barre de l’Auswärtiges Amt (l’Office des Affaires étrangères) pendant dix-neuf ans et qui, avec le Chancelier Helmut Kohl, a mené à bien la réunification de l’Allemagne. Un Soviétique : Vyacheslav Molotov, né sous Alexandre III et mort sous Gorbatchev. Un Chinois : Zhou Enlai, le plus fidèle et habile compagnon de Mao. Et puis les deux Américains précités, si l’on peut dire car tous deux d’origine étrangère. N’y avait-il pas pour illustrer la grande diplomatie de la première puissance mondiale des Américains de souche plus ancienne ? Parmi ces géants, aucun Latino-américain. Mais ne boudons pas notre plaisir, l’heure des diplomates du « Sud global » viendra et pour des auteurs français devant s’appuyer sur des mémoires, des biographies, des témoignages manuscrits, les sources disponibles sont rares dès lors qu’il s’agissait de dresser le portrait de diplomates et non de chefs d’État, comme Nehru, Nasser, Sukarno ou Tito. Comme l’écrit Hubert Védrine dans sa préface, il ne s’agit pas d’un dictionnaire exhaustif.
Cette belle galerie d’éminents diplomates ressemble un peu, toutes proportions gardées, au cercle des poètes disparus. Leurs successeurs, Sergueï Lavrov excepté, n’ont plus la durée pour eux. Tout a changé, rythme de travail et de prises de décision, poids des opinions publiques, quasi-absence du secret, de l’intimité, de la lenteur, voire de la réflexion ou du retrait. De nouveaux acteurs sont apparus et pas uniquement les multinationales, les ONG. Les ministères des Affaires étrangères sont relégués à la seconde place au profit du seul numéro un – est-ce le motif, entre autres, de la suppression du corps diplomatique qu’Hubert Védrine déplore en souhaitant qu’il ressurgisse un jour sous une forme différente, mais en tout cas professionnalisé ?
Pourtant, si l’on devait tirer ne serait-ce qu’une seule leçon, ambition bien téméraire de cette galerie de portraits illustres, c’est que l’art de la négociation fait de patience, d’écoute, d’empathie n’a pas disparu. « Tout Prince Chrétien doit avoir pour maxime majeure, de n’employer les armes pour soutenir et faire valoir ses droits, qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion, et il est de son intérêt d’y joindre encore celle des bienfaits qui est le plus sûr de tous les moyens pour affermir et pour augmenter sa puissance ; mais il faut qu’il se serve de bons ouvriers qui sachent les mettre en œuvre pour lui gagner les cœurs et les volontés des hommes, et c’est en cela principalement que consiste la science de la négociation ». ♦







